Rencontre avec Jean Rottner, ancien Président de la région Grand Est
Jean Rottner, ancien Président de la région Grand Est nous a accordé un entretien exclusif où il revient sur l’importance de la formation aux métiers d’art. Rencontre.
Comment valoriser davantage la formation aux métiers d’art ?
Les jeunes et le grand public ont parfois trop peu connaissance des possibilités qui existent sur leur bassin de vie ou à proximité. Les métiers d’art n’échappent malheureusement pas à une réalité qui se pose à l’ensemble des professions : les formations de proximité sont souvent méconnues par les habitants et les jeunes. C’est donc la qualité et la densité de l’information qui est donnée sur les métiers qu’il faut renforcer, et ce, le plus en amont possible.
Je me réjouis que soient bientôt mis en place de temps hebdomadaires dédiés à l’orientation et à la connaissance des métiers en classe de 5ème : commencer à parler de l’avenir seulement entre la classe de 3ème et l’entre en seconde, pour moi c’est trop tard. Les Régions, qui ont depuis 2018 une compétence en matière d’orientation et d’information sur les métiers, ont un rôle prépondérant à jouer : travaillons avec les Communes et les Départements pour sensibiliser aux métiers d’art le plus tôt possible.
En quoi le système de la formation, particulièrement la formation professionnelle subit-elle une crise en ce moment ? Des établissements emblématiques de la région comme le CERFAV ou l’IEAC sont-ils menacés aujourd’hui ?
Je pense que nous ne sommes pas dans une crise en matière de formation, nous sommes surtout à la croisée des chemins : aujourd’hui, notre système n’est pas assez agile, il est beaucoup trop descendant et ne se transforme pas assez rapidement. La crise sanitaire est venue nous rappeler un fait majeur : l’évolution du monde du travail et de ses compétences se fait de plus en plus rapidement, notamment avec les besoins liés à la transition écologique et énergétique.
A l’échelle du Grand Est, on essaie d’être beaucoup plus fonctionnel : on modularise les formations, dans l’objectif de les personnaliser le plus possible au besoin des habitants et des territoires. Année après année, nous construisons davantage de « formations sur-mesure » : ce sont les demandes des entreprises, des artisans et des sociétés qui cadrent les enseignements proposés, pas l’inverse.
Par contre, si nous voulons collectivement être agiles, il faut que l’on reste cohérent. Or, quand récemment, France Compétences a indiqué que des formations sur les métiers d’arts ne se verraient pas renouveler leurs certifications, je me dis qu’il est difficile de faire pire comme symbole alors que l’ONU a déclaré que 2022 était l’Année Internationale du Verre. J’ai donc écrit à Madame la Ministre Déléguée Carole Grandjean pour la situation soit revue dans les meilleurs délais.
En Région Grand Est, l’Institut Européen des Arts Céramiques (IEAC) de Guebwiller et le Centre Européen de Recherches et Formation aux Arts Verriers (CERFAV) de Vannes-le-Châtel sont particulièrement concernés par cette disposition, alors que ce sont des joyaux de notre offre de formation. Les formations qui y sont proposées sont plus spécifiquement ouvertes sur des parcours de formation continue associant développement des connaissances techniques et démarche de création conçue pour des demandeurs d’emploi en reconversion et les préparant à la création d’activité. Il s’agit donc là de parcours pour lesquels les dispositifs de la formation initiale ne sont pas adaptés, d’où la nécessité d’obtenir le renouvellement des certifications.
Cependant, s’ils peuvent être mis en difficulté par cette décision que nous espérons modifiée sous peu, ils ne sont pas menacés car la Région Grand Est se tiendra toujours à leurs côtés.
Quelles mesures pourrions-nous envisager pour mettre en lumière la préservation et le rayonnement de notre patrimoine ?
Le Grand Est recèle un patrimoine foisonnant et divers. On retrouve, sur tout le territoire, des merveilles, que l’on pense à l’Abbaye de Clairvaux, à la Place Stanislas ou au Mont Sainte Odile. Je suis fier de ces richesses qui traduisent la complexité historique dont nous sommes les héritiers. Être dépositaires de tels trésors nous engage non seulement à les protéger et les valoriser mais aussi à les faire connaître et aimer.
Pour ce faire, la collectivité régionale dispose du service de l’Inventaire dont la mission consiste précisément à recenser le patrimoine existant tout en assurant une mission de recherche scientifique à son propos. La Région Grand Est participe, en outre, activement aux journées européennes du patrimoine (JEP) à l’occasion desquelles elle ouvre l’ensemble de ses sites dont certains sont de véritables joyaux, parfois injustement méconnus, à l’instar de la maison de la Région de Troyes-Chaumont.
Parce que le patrimoine est, à mes yeux, une priorité, le budget alloué à la Culture a été pérennisé en 2022, contrairement à d’autres enveloppes budgétaires qui ont connu, au contexte économique que nous connaissons, des baisses de dotations. Je me refuse à être de ceux qui, cherchant des moyens rançonnent allègrement les musées et les artistes. J’ai l’intime conviction que ni la beauté, ni la création ne sont des options, ce sont des nécessités, préalables à la possibilité de faire société.
Comment donner envie aux jeunes de s’orienter davantage vers la diversité des métiers d’art ?
Pour donner envie aux jeunes d’aller vers des métiers d’art, il faut d’abord des lieux qui donnent envie. En tant que Président de Région, c’est une de mes responsabilités. Et je m’y applique : nous allons lancer un programme de travaux de 30 M€ pour le Lycée Labroise de Sarrebourg qui propose des sections verrières ; nous avons soutenu la rénovation de l’Ecole de Vannerie ; nous sommes propriétaires du CERFAV de Vannes-le-Châtel et nous réfléchissons actuellement à lui donner une nouvelle dimension.
Ensuite, il faut miser sur la transmission : un artisan, un créateur, un artiste, c’est avant tout un passionné. Voir la beauté du travail sur photo ou vidéo c’est une chose, mais la voir rejaillir dans les yeux et les paroles de ceux qui travaillent la matière au quotidien, c’est tout simplement bouleversant. Et c’est ça qui veut créer des vocations chez les jeunes : ils veulent que leur activité professionnelle ait du sens, c’est pour cela qu’ils rejettent certains postes car ils ont peur de ne pas pouvoir se réaliser. Or, dans les métiers d’art, la réalisation personnelle et professionnelle sont toujours intimement liées.
Récemment, Rima Abdul Malak, ministre de la culture, a dévoilé son ambition de préserver et valoriser ces métiers qui interviennent dans la conservation du patrimoine, la création contemporaine et la diffusion de la culture, quelles propositions seraient prioritaires pour l’avenir du secteur ?
J’ai eu le plaisir de m’en entretenir avec elle voilà quelques semaines et je suis sincèrement ravi que Madame la Ministre s’intéresse à ces sujets qui se placent à la lisière de la Culture, de la formation et de l’artisanat. C’est d’ailleurs ensemble que nous irons prochainement visiter le CIAV à Meisenthal, en Moselle.
Pour accroître l’attractivité de ces métiers d’art, il convient non seulement de les faire connaître mais de parvenir à changer les regards sur des professions aussi techniques que mystérieuses. Rares sont ceux qui savent aujourd’hui ce que fait précisément un tailleur de verre ou une plumassière. Il y a donc un véritable effort de pédagogie qu’il nous revient de consentir.
Plus largement, il faut démontrer au public que les savoir-faire dont nous disposons en France sont uniques et ne doivent pas péricliter du fait de la concurrence mécanisée pratiquée avec agressivité par certaines firmes étrangères comme c’est le cas sur le travail du verre à froid. Nous avons des atouts à défendre et à faire valoir, le voilà notre défi !
Quel message souhaitez-vous adresser aux visiteurs et aux professionnels du secteur pour cette nouvelle édition ?
Je veux tout d’abord les remercier : vous n’avez pas idée à quel point vous jouez un rôle majeur dans le rayonnement culturel et économique des territoires. Par conséquent, ils peuvent compter sur le soutien des Régions et des Collectivités Locales.
Aussi, continuez à nous inspirer et à nous faire rêver ! Le monde du travail connaît une crise des vocations : les métiers d’art démontrent que l’on peut concilier passion personnelle avec engagement professionnel.